La place de l’arbre dans la culture japonaise
Avant d’entrer dans le vif du sujet qu’est le papier, et afin d’en comprendre toutes les nuances symboliques qu’il dégage dans la culture japonaise, il m’a semblé indispensable de m’attarder sur sa matière première : l’arbre. L’archipel nippon est propice au développement d’une flore riche et variée. Sa situation géographique lui confère un isolement unique, protecteur. La diversité des climats permet le développement de nombreuses espèces différentes d’arbres et de plantes. Sa géologie en fait un sol volcanique, tantôt abrupt et sauvage, tantôt lisse et meuble, propice à la culture comme en plaine et sur les littoraux, où s’est regroupée la population. Le peuple japonais a su tirer parti de ces contraintes et atouts : préserver ses forêts c’est réduire le risque sismique en fortifiant le sol. De ce fait, les arbres sont une ressource très importante dans la culture nippone. Élevées au rang de demeure des dieux, les forêts protègent la population tout en restant des endroits mystérieux, peuplés d’esprits selon de nombreuses légendes.
L’histoire du papier, entre Chine et Japon
L’histoire du papier s’étend sur plus de 2 000 ans. Sa naissance est attribuée à la Chine, au Ier siècle de l’ère chrétienne. Le secret de sa fabrication, volé aux chinois lors des conquêtes arabes du VIIIe siècle, mettra encore cinq siècles avant de parvenir en Europe au cours du XIIIe siècle. Au Japon, le papier est importé par les chinois dès le VIIe siècle avec la diffusion du bouddhisme. Il a rapidement pris une place majeure au sein de la culture nippone jusqu’à devenir une matière indispensable dans de nombreux domaines. Au fil du temps, les japonais l’ont développé, perfectionné, personnalisé, de sorte qu’ils l’ont décliné en une multitude de supports pour autant d’utilisations possibles. Des objets de culte comme les lanternes et cerfs-volants, des vêtements, des documents administratifs et des billets de banque, du papier de correspondances, des rouleaux de littérature illustrée, des objets du quotidien comme les éventails, des cloisons coulissantes dans les temples et maisons, comme support des oeuvres d’artistes comme HOKUSAI donnant lieux à de nombreuses techniques artistiques… Des festivals lui sont consacrés et un lieu a même été sacralisé à sa déesse : Kawagami Gozen. Le Japon a longtemps vécu l’âge d’or du papier, mais la réouverture des frontières nippones vers 1850 a marqué le déclin du papier artisanal au profit du papier industriel, plus facile et moins coûteux à produire. Les japonais n’en perdent pas moins leur capacité à inventer de nouvelles manières de les utiliser.
Entre papier et numérique
Dans ce Japon où cohabitent paradoxalement tradition et modernité, le papier cohabite avec le numérique, tout en restant indissociable de la culture japonaise. Le Japon figure parmi les pays produisant le plus de papier dans le monde. Sa plus grosse industrie est le manga, ces bandes dessinées japonaises qui touchent toutes les classes et tous les âges de la population. Le recyclage est un point sur lequel le gouvernement nippon met de plus en plus l’accent, les papiers et cartons occupent la seconde place, derrière le plastique. Pour tenter de réduire ces déchets, de nouvelles initiatives voient le jour afin de sensibiliser la population. Le papier est encore d’actualité dans une multitude d’aspects de la vie japonaise. Présent dans de nombreux festivals et traditions, les japonais ne semblent pas encore enclins à l’abandonner. Bien que le numérique prenne de plus en plus de place et facilite la vie, il soulève également de nombreuses questions et inquiétudes quant à son impact et ses limites.
Papiers du présent et du futur
Le papier est toujours présent dans la culture japonaise, comme dans le monde. Cependant, ses utilisations ont changé au fil du temps. De nouveaux savoir-faire disparaissent au fil des années, les métiers traditionnels du papier ne font pas exception. Utilisé dans la vie de tous les jours, le papier machine a pris le pas sur le papier traditionnel japonais. Cependant, le washi, dont le savoir-faire est aujourd’hui inscrit au Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité de l’UNESCO, a su séduire de nouveaux consommateurs de par le monde et est devenu un produit de haute qualité, un papier d’art prisé par les grandes marques de luxe. Ses qualités de légèreté, transparence et durabilité dues à son pH neutre, permettent de restaurer des œuvres du passé comme au Musée du Louvres. Aujourd’hui, seules quelques fabriques japonaises du siècle dernier subsistent encore, préservées, pendant que de nouvelles personnes utilisent également les mêmes fibres pour faire du papier à leur propre manière artisanale. Mais le papier n’a pas fini de nous surprendre, il se réinvente sans cesse, se transforme, n’a de limite que notre imagination. La technologie se penche encore sur lui pour imaginer les créations du futur.