À l’ère de l’anthropocène, nous ne nous sommes jamais questionnés autant sur notre être. En effet, l’apparition des technologies dont celle numérique bouleverse notre façon d’exister.
Omniprésente dans notre vie quotidienne, la technologie numérique constitue la base de notre société actuelle. Le travail, l’éducation, la socialisation, la communication, le commerce ou encore le loisir, notamment depuis la pandémie de la Covid-19, la quasi-totalité des choses passe par les outils informatiques. Il n’est désormais plus question de choix. Quel que soit le niveau de résistance que nous essayons d’opposer à cette propension sociétale, il est pratiquement impossible de vivre sans numérique. Vivre sans numérique, c’est renoncer à l’électricité, à l’eau, à la nourriture, puisque leur gestion est assurée par des systèmes numériques. Refuser le numérique est donc quasi mortel. Or, si nous disons que notre être est bouleversé par le numérique, ce n’est pas parce qu’il est mortel de le refuser. Au contraire, le bouleversement advient justement quand nous assumons pleinement de vivre avec le numérique. Le problème surgit au moment où nous entrons en interaction avec le monde via le numérique, à travers cet étrange espace-temps semblant être réduit et contracté. L’industrie nous a certes apporté tant de commodités. La technologie numérique nous permet d’optimiser énormément de temps. Mais ne sommes-nous pas simultanément devenus obligés d’optimiser le temps ? Ou plutôt, n’avons-nous plus d’excuse pour prendre du temps car tout nous devrait être possible, facilement et rapidement ? Autant de commodités, et pourtant, parfois, nous nous éloignons du numérique et nous partons faire du digital détox, et ce, pour nous remettre en forme pour encore nous connecter en ligne. En toute honnêteté, avons-nous peur de nous couper de ce monde virtuel ? Car si nous nous coupons du réseau, risquons-nous de devenir inexistants ?
Notre être est bouleversé, non pas parce qu’il est mortel physiquement de refuser le numérique, mais parce qu’il est considéré comme mort de ne pas être présent en ligne ? Si nous ne répondons pas à des textos, si nous ne publions pas de tweets, si nous ne likons pas des publications pendant quelques jours, sommes-nous inexistants ? Devenons-nous vides ?
La société capitaliste d’aujourd’hui hait le vide. Elle veut que nous soyons efficaces, actifs, rentables, que nous optimisions tout notre temps. Le vide est alors contre-productif. Mais nous sommes trop habitués, et c’est trop tard. La haine envers le vide s’est transformée en peur du vide, et elle nous demeure. Le vide a l’air inutile, pourtant nous essayons de nous vider la tête, nous désirons avoir un moment vide dans la journée. Beaucoup d’entre nous sont inspirés par le mode de vie minimaliste tendant à moins posséder, moins être occupé. Pourquoi essayons-nous de créer du vide s’il est inutile ? Ballotés entre la visioconférence et d’indénombrables notifications incitantes, le vide semble à la fois ce que nous évitons pour exister et ce que nous désirons, également, pour exister. La notion du vide est souvent discutée dans le domaine des arts appliqués. L’espace vide dans une architecture, le creux dans un objet, l’espacement dans une scénographie, le blanc dans le graphisme. Dans les arts appliqués qui associent la forme et la fonction, quelle est la position du vide ? A-t-il une fonction ou est-il une question d’esthétique ? Et encore, l’esthétique n’est-elle pas aussi une fonction ?
Si le design est, comme le définit Victor Papanek, « un outil novateur, hautement créateur et pluri-disciplinaire, adapté aux vrais besoins des hommes », est-il capable de faire du vide une solution adéquate pour nous qui avons besoin du vide et qui fuyons le vide ?